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Une nouvelle fois, nous avons laissé un Psychiatre-aumônier massacrer des dizaines de milliers d’entre nous, Iliens et Siréniens mêlés. Ce nouveau Psyo, Raja Flatterie, se fait appeler « Le Directeur », mais il ne perd rien pour attendre. Nous avons baisé l’anneau et tendu nos gorges pour la dernière fois.

Extrait du premier bulletin diffusé par

la Voix de l’Ombre le 5 bunratti 493.

 

À travers le simple panneau de verre au plasma, la première lueur de l’aube caressait l’oreiller blanc de ses doigts roses et auréolait de tons gris le mobilier simple mais riche en couleurs de la cabine. Bien que solidement implantée sur la terre ferme d’un continent, cette cabine reflétait les traditions d’une culture qui flottait librement sur les océans de Pandore depuis près de cinq siècles.

Ces Iliens, les biomagiciens de Pandore, faisaient tout pousser sur leur sol. Leurs assiettes et leurs bols, leurs fameux canisièges, leurs matériaux d’isolation, leurs liants organiques, leurs carpettes, leurs étagères et jusqu’aux îles elles-mêmes. Cette cabine était entièrement meublée en organiques et tombait sous le coup de l’ancienne loi, qui garantissait à son propriétaire un lot de jetons de ravitaillement qu’il n’était pas difficile de convertir en points-rations. Avec ces points-rations au marché noir, le Directeur payait à bon compte l’assimilation de la culture îlienne qui s’était fracassée sur les récifs le jour où il avait décidé de prendre tapageusement possession de la mer.

À mesure que l’aube prenait la consistance du matin, la tapisserie de mains jointes qui décorait la petite cabine s’illuminait. Des poissons bleus et rouges passaient devant la bordure, leurs nageoires délicates s’entrelaçant avec les larges thalles verts du varech. Nageoires orangées et thalles bleus s’unissaient à la base de la tapisserie pour former un Oracle stylisé. Le point serré du motif récurrent et ses couleurs tranchantes ondulaient avec la progression de l’aube. Au-dessous de la tapisserie, sur le lit, la poitrine d’une dormeuse se soulevait et s’abaissait sur un rythme paisible.

La nuit et ses ombres mouvementées se retirèrent peu à peu de la paroi de verre au plasma qui dominait le lit. Les Iliens avaient toujours prisé la lumière et, quand ils construisaient leurs îles, s’efforçaient de la faire pénétrer partout où ils le pouvaient. Ils avaient persisté dans cette habitude même quand ils avaient dû s’échouer sur le sol ferme. Dans leurs demeures sous-marines, les Siréniens accrochaient aux murs des images de ce que ces murs leur cachaient. Les Iliens, pour leur part, préféraient la lumière, la brise et les senteurs de la vie. La cabine était petite et Spartiate, mais riche en lumière.

C’était une cabine légale, régulièrement inspectée, qui faisait partie de l’arrière-boutique d’un commerçant régulièrement établi. Elle était située au-dessus de la rue, à l’étage de la nouvelle taverne « La Coupe des As », dans le port de Kalaloch. Sous sa fenêtre, suspendue à une barre d’acier, se balançait une énorme coupe blanche.

Presque au même rythme que le souffle de la dormeuse, le slurp-slurp des vagues caressait le mur en contrebas. Les bruits de sa respiration se figeaient de temps à autre puis reprenaient à l’unisson du froissement d’ailes d’un couac ou du carillon des ferrures de voiles plaquées par le vent sur les mâts.

L’aube avait éclairci suffisamment la pièce pour que l’on pût voir une silhouette assise à côté du lit, dans une posture d’immobilité attentive. Cette immobilité n’était brisée que par le mouvement occasionnel du bol aux lèvres puis aux genoux. La silhouette était assise le dos au mur, à côté du plaz, et faisait face à la porte ovale. L’aube faisait luire les motifs incrustés d’un bol îlien en bois dur et en nacre, minutieusement ouvragé. La main qui tenait ce bol était masculine, ni fine ni calleuse.

La silhouette se pencha en avant, notant l’intensité du sommeil étrange de cette dormeuse aux yeux ouverts. L’intensification de la lumière sur la paroi transparente de la cabine avait pour effet de durcir les ombres à l’intérieur et de rendre leur progression plus inexorable.

Le veilleur, Ben Ozette, remonta la couverture sur les épaules nues de la dormeuse pour la préserver de l’humidité du matin. Les pupilles de ses yeux verts étaient demeurées ouvertes malgré l’avance de l’aube. Il lui abaissa les paupières du pouce. Cela ne sembla faire pour elle aucune différence. Le frisson qui le parcourut malgré lui n’avait aucun rapport avec la froideur du matin.

Elle offrait une image de blanc. Ses cheveux étaient blancs, ses cils et ses sourcils étaient blancs, de même que sa peau de porcelaine. Sa chevelure désordonnée entourait son visage et tombait sur ses épaules, formant un cadre parfait pour ses yeux d’un vert brillant. La main de Ben Ozette se posa sur l’oreiller, puis il la retira.

À la lumière, ses pommettes osseuses se détachaient ainsi que son nez aquilin et ses arcades sourcilières profondes qui révélaient ses origines siréniennes. Durant les années où il avait exercé le métier de journaliste pour l’holovision, il avait joui de la célébrité d’un homme dont le visage est aussi familier, à travers toute une planète, que celui d’un frère ou d’un mari. Les auditeurs du monde entier reconnaissaient instantanément sa voix. Mais sur la Voix de l’Ombre, il était devenu rédacteur et maître opérateur, laissant à Rico le soin d’affronter les feux de la rampe, sous un déguisement, bien sûr. Mais à présent, leurs familles, leurs amis et leurs coauteurs allaient sentir le sec impact du courroux de Flatterie.

Ils n’avaient pas vraiment eu le temps de se préparer. Durant leurs interviews hebdomadaires, ils avaient tous les deux remarqué avec quel soin tout le monde, y compris les gardes des services de sécurité intérieure, se tenait à distance des microphones pendant qu’ils enregistraient. La fois suivante, ils avaient enregistré à l’extérieur, avec verve. Et la veille au soir, ils avaient simplement filé sans demander leur reste. Rico s’était occupé de tout. La perspective d’être maintenant traqué par les tueurs de Flatterie lui desséchait quelque peu la gorge. Il but une nouvelle gorgée d’eau.

C’est peut-être vrai, ce que l’on raconte. Elle n’est peut-être qu’une créature artificielle. Elle est d’une beauté trop parfaite pour être un accident.

Si les mémos du Directeur disaient vrai, elle était bel et bien un être artificiel, une créature fabriquée par le varech, issue de quelque chose qui n’était pas humain. Quand la mer l’avait rejetée, le médecin qui l’avait examinée l’avait décrite comme « … une sorte d’albinos aux yeux verts, de sexe féminin, d’une vingtaine d’années, présentant des troubles respiratoires consécutifs à l’ingestion d’une certaine quantité d’eau de mer. État d’agitation extrême ; excellente mémoire des faits récents ; très mauvaise mémoire, peut-être amnésie totale, concernant les faits lointains… ».

Cinq années s’étaient écoulées depuis que la mer l’avait déposée sur la grève et dans les médias. Et durant ces cinq années, Flatterie n’avait permis à personne de l’approcher, à l’exception du personnel de son labo de recherche. C’était la curiosité qui avait poussé Ben à demander à faire le reportage, mais il s’était trouvé pris dans un engrenage. Il avait vite appris à haïr le Directeur de toute son âme et, tandis qu’il contemplait le sommeil paisible de Crista, il ne pouvait pas dire qu’il regrettait quoi que ce fût.

Il devait bien l’admettre, il savait depuis le début que ce n’était qu’une question de temps. Il avait combattu Flatterie et son holovision trop longtemps et trop ouvertement.

Un récent bulletin de la Voix de l’Ombre avait accusé l’holovision d’être un agent de désinformation soumis à Flatterie, un instrument de propagande qui ne retrouverait sa crédibilité que lorsqu’il passerait aux mains des travailleurs. Et Ben avait dirigé les mêmes attaques, la veille, contre l’assistant à la production.

Ben s’était laissé prendre, au début, par tous les petits trucs de propagande que les spécialistes de Flatterie avaient concoctés. Avec Rico, ils avaient fini par acheter ou fabriquer leurs propres caméras et unités laser afin de réduire le pouvoir d’intimidation de la compagnie et les pressions exercées par Flatterie. Ils se retrouvaient chacun, à présent, avec un emploi à plein temps, bénévole, de pirate des ondes au service de la Voix de l’Ombre.

Mais traqués par la sécurité.

Ben Ozette se carra en arrière dans le vieux canisiège, laissant la dormeuse en paix. De tous les fléaux de Pandore, cette créature pouvait être le plus mortel. On disait que des gens avaient péri rien qu’en la touchant, et ce n’était pas une simple rumeur issue de l’usine de propagande du Directeur. Ben avait pourtant osé la toucher et il vivait toujours. On disait aussi qu’elle était très, très intelligente.

Il murmura son nom à voix basse.

— Crista Galli.

La respiration de la dormeuse marqua un temps d’arrêt ; elle renifla une fois, deux fois, et reprit son rythme normal.

Crista Galli ouvrit imperceptiblement ses yeux verts et les tourna vers le soleil, sans se réveiller.

Irréelle.

La dernière passion de Ben, celle qui avait duré le plus longtemps, avait les yeux marron. Elle avait été son seul amour, en vérité. C’était Béatriz, dont les prunelles couleur de café au lait lui semblaient briller à présent dans les ombres de cette cabine. Oui, Béatriz. Ils étaient restés bons amis et elle allait sans doute prendre cela très mal. Le cœur de Ben manquait un battement chaque fois que leurs chemins se croisaient, et c’était souvent le cas dans les studios de l’holovision.

Béatriz avait fait une série sur le programme spatial de Flatterie. Elle était restée absente plusieurs semaines d’affilée. Ben avait réalisé pour son compte quelques docudrames sur les survivants d’une secousse sismique, les camps de réfugiés îliens et aussi une série sous-marine sur le varech. Son tout dernier projet était sur Crista Galli et sa vie depuis qu’elle avait été arrachée au varech.

Flatterie avait donné son accord pour faire cette série et Ben avait accepté de limiter le sujet au sauvetage et à la période de réadaptation qui avait suivi. Ce projet lui avait permis d’avoir ses entrées dans le Saint des Saints de Raja Flatterie tout en l’éloignant un peu plus de Béatriz. Le téléphone arabe de l’holovision disait qu’elle fréquentait, depuis quelque temps, le commandant de l’Orbiteur, Nano Macintosh. De par son propre choix, Béatriz et Ben étaient maintenant séparés depuis près d’un an. Il savait qu’elle finirait un jour par trouver quelqu’un d’autre. Et maintenant que c’était arrivé, il décida qu’il valait mieux en prendre son parti.

Béatriz Tatoosh était la plus étonnante des journalistes de l’holovision, et l’une des plus coriaces. Comme Ben, elle assurait des reportages en direct pour les Nouvelles du Soir de l’holovision. Elle s’occupait aussi d’une émission hebdomadaire sur le « Projet Spationef » du Directeur, un programme qui alimentait toutes sortes de controverses de nature économique ou religieuse. Béatriz défendait le Projet, Ben n’avait cessé de le critiquer. Il se félicitait aujourd’hui de l’avoir tenue à l’écart de ses plans concernant la Voix de l’Ombre. Au moins, elle n’avait pas eu à prendre la fuite.

Ces yeux bruns…

Ben Ozette se reprit et se redressa sur son siège, chassant la vision de Béatriz Tatoosh. Les grands yeux et le sourire épanoui se fondirent dans le lever du soleil.

La dormeuse, Crista Galli, avait fait battre son cœur d’une étrange manière la première fois qu’il l’avait vue. Malgré sa jeunesse, elle avait des connaissances encyclopédiques surpassant toutes les personnes qu’il avait jamais eu l’occasion de connaître. Les faits étaient son domaine. Mais sur sa propre vie, la vingtaine d’années qu’elle avait passées dans les profondeurs, elle ne semblait savoir pratiquement rien. L’accord établi entre Ben et Flatterie interdisait qu’il explore cette question tant qu’il était à l’intérieur du Périmètre.

Elle faisait des rêves précieux ; aussi, il la laissait rêver. Il lui poserait des questions sur ses rêves quand elle s’éveillerait, prendrait des notes et établirait des plans avec elle.

Cela, c’était déjà un rêve en soi, se disait-il, car il y avait déjà des plans d’établis, et il les suivrait dès qu’on lui dirait en quoi ils consistaient.

Aujourd’hui, pour la première fois, elle allait avoir une idée de ce que le peuple avait fait du mythe de Crista Galli, la créature sacrée qu’on avait trop longtemps tenue écartée de lui. Elle ne pouvait pas savoir, coupée des humains comme elle l’avait été durant la totalité de ses vingt-quatre années d’existence, ce que signifiait pour elle le fait d’avoir été hissée par le peuple au statut de divinité. Il espérait seulement que lorsque le moment fatidique arriverait, elle saurait se montrer une divinité miséricordieuse.

Quelqu’un entra dans le bâtiment au rez-de-chaussée, et il tendit l’oreille. Il posa son bol et porta machinalement la main à la poche de son blouson où la masse familière de son enregistreur avait été remplacée par celle du vieux laztube de Rico. Il entendit l’eau qui coulait et le grincement d’un broyeur. Une riche odeur de café parvint bientôt jusqu’à lui et il sentit son estomac gargouiller. Il reprit son bol et but une nouvelle gorgée d’eau. Puis il se détendit partiellement.

Ses réminiscences étaient en train de pâlir avec l’aube. La lumière, cependant, ne faisait rien pour réduire sa nervosité. Les choses devenaient incontrôlables dans le monde, et cela le mettait mal à l’aise depuis des années. Il avait maintenant une chance de changer cette situation et il n’allait pas la laisser échapper.

La poigne totalitaire de Flatterie était une réalité que Béatriz avait refusé de voir. Ses rêves se situaient parmi les étoiles, et elle était prête à croire à n’importe quoi si on lui promettait de l’emmener là-bas. Les rêves de Ben, par contre, se situaient à ses pieds. Il croyait fermement que les Pandoriens pourraient faire de leur planète le meilleur des mondes si seulement le Directeur en était écarté. Mais maintenant que les événements devenaient à leur tour incontrôlables dans sa vie privée, Ben commençait, pour la première fois, à avoir un peu peur.

Il était heureux que le jour se lève. Les réminiscences lui venaient dans l’obscurité, mais il avait toujours pensé que ses idées étaient plus claires le jour. La fortune et l’avenir de millions d’êtres dormaient dans cette cabine. Crista pouvait être ou la déesse salvatrice de l’humanité ou son ange exterminateur.

Ou bien encore aucun des deux.

La Voix de l’Ombre pouvait faire en sorte de lui donner les meilleures chances d’être sa déesse salvatrice. Ben Ozette et Crista Galli se trouvaient au cœur du tourbillon où se mêlaient les deux conflits qui divisaient Pandore : la poigne de Flatterie sur leur gorge, d’une part, et le statu quo Avata-humanité, d’autre part, qui empêchait les doigts de se refermer.

Crista Galli était née au sein de l’Avata, du varech. Elle représentait un réel mélange Avata-humanité, réputé être le seul survivant d’une longue lignée de poètes, prophètes et manipulations génétiques.

Son éducation s’était faite au contact des banques mémorielles génétiques du varech, humaines ou autres. Elle savait sans qu’on lui eût rien appris. Son esprit avait été nourri, durant près de vingt ans, d’échos représentant ce que l’humanité avait de meilleur et de pire. Mais ce n’étaient pas les seuls échos.

Les autres, les pensées émanant de l’Avata à proprement parler, étaient les échos que le Directeur craignait.

« Le varech nous l’envoie pour nous espionner, avait-il dit un jour à quelqu’un. Il est impossible de savoir ce qu’il a fait à son subconscient. »

Crista Galli représentait l’un des grands mystères de la génétique. Les religieux voyaient en elle un miracle incarné.

« C’est moi seule qui me suis faite ce que je suis, avait-elle dit à Ben dès leur premier entretien. Comme nous tous. »

Ou bien encore, comme elle l’avait dit dans leur tout dernier entretien : « Au buffet de l’A.D.N., j’ai fait les choix qu’il fallait. »

Les craintes de Flatterie avaient fait qu’il l’avait gardée enfermée, « pour sa propre sécurité », durant ces cinq dernières années, alors que le peuple clamait sur toute la planète son désir de la voir. C’étaient les forces de sécurité de Vashon qui avaient reçu du Directeur mission d’assurer cette protection. Et c’étaient ces mêmes forces de sécurité qui traquaient Ben en ce moment.

Elle est peut-être un monstre, se disait-il. Une sorte de bombe à retardement réglée par l’Avata pour exploser… à quel moment ? Et pourquoi ?

Cette énorme masse de varech que certains appelaient « Avata » et d’autres « l’Avata » dirigeait les courants marins et, par conséquent, la navigation sur toute la planète. Elle calmait les perturbations provoquées par le système solaire binaire de Pandore, rendant ainsi possible l’existence des continents et de la planète elle-même. Comme beaucoup d’autres, Ben était persuadé que l’Avata était une entité pensante.

Crista Galli changea de position, s’enfonça un peu plus sous la couverture et reprit sa respiration paisible. Ben se disait qu’en la tuant maintenant, dans son sommeil, il sauverait peut-être le monde et lui-même. Il avait déjà entendu cet argument dans la bouche des extrémistes déchaînés de la droite, ceux qui avaient l’habitude de travailler avec Flatterie.

Ils ont peut-être raison.

Mais Ben Ozette avait plutôt la conviction, à présent, que Crista Galli pouvait sauver le monde aussi bien à l’usage des humains que de l’Avata ; et pour cette raison, il avait fait le vœu de veiller sur son moindre souffle. Pour cette raison, et aussi pour les frissons d’amour qu’il sentait renaître dans les anciens brancards.

Spider Nervi et ses tueurs étaient maintenant à leurs trousses. Ben avait séduit Crista pour l’arracher à la courte laisse du Directeur, mais Crista avait fait le reste. Avec l’aide de Rico. Ben savait très bien que la laisse se transformerait en fouet et en nœud coulant pour lui, et sans doute pour elle, la prochaine fois. Il avait intérêt à faire en sorte qu’il n’y ait pas de prochaine fois. Flatterie avait laissé entendre clairement qu’il n’existait pour lui rien au monde de plus dangereusement mortel ni de plus précieux que Crista Galli. Il y avait peu de chances que l’homme qui avait eu l’audace de s’enfuir avec elle fût épargné.

Ben avait à présent quarante ans. À quinze ans, il s’était trouvé plongé en pleine violence historique avec la catastrophe de l’île de Guemes. Ce jour-là, des milliers de personnes avaient trouvé la mort, brutalement déchiquetées, brûlées, noyées à la suite de l’attaque d’un submersible Sirénien, un élagueur de varech qui était remonté des profondeurs, en lacérant tout sur son passage, pour faire irruption en plein centre de la vieille île artificielle. Ben se trouvait côté bordure quand le choc soudain l’avait précipité dans les flots chargés d’écume rose.

Les années qui avaient passé et les horreurs auxquelles il avait assisté lui donnaient une sorte de sixième sens, un instinct du danger qui lui faisait trouver très vite la porte de sortie la plus proche. Mais ce sixième sens n’opérait que dans la mesure où il était capable de se maintenir en vie, et il se souvenait de l’empressement avec lequel il avait jeté tout instinct par-dessus bord quand il était tombé amoureux de Béatriz. Il n’avait pas pensé que la chose pourrait se reproduire jusqu’au jour où il avait connu Crista Galli, dont la rencontre avait été à moitié motivée par le vague espoir qu’il entretenait d’apercevoir Béatriz quelque part à l’intérieur de la résidence privée de Flatterie. Crista lui avait chuchoté, ce jour-là : « Aide-moi », et tandis qu’il sombrait sans retour dans l’océan de ses yeux verts il avait simplement répondu : « Oui. »

Dans sa tête dort la Grande Sagesse, se disait Ben. Si elle peut lui ouvrir la porte sans se détruire elle-même, elle nous viendra en aide à tous.

Même si ce n’était pas vrai, Ben savait que Flatterie en était convaincu et c’était amplement suffisant pour lui.

Elle changea de nouveau de position, toujours endormie, et tourna son visage vers la lumière naissante.

L’éloigner de la lumière, se dit-il. L’éloigner du varech, l’éloigner de la mer. Et, surtout, ne jamais la toucher. Dans sa poche arrière, il avait des instructions détaillées sur la procédure à suivre au cas où il aurait effleuré accidentellement sa peau nue.

Je serais curieux de savoir ce qu’ils penseraient, au Quartier central, s’ils savaient que je l’ai embrassée.

Il eut un petit gloussement de rire en songeant, avec émerveillement, au pouvoir que représentait la créature qui dormait dans ce lit, dans la même pièce que lui.

Le Directeur avait veillé, dans le passé, à ce qu’aucune interview de Crista Galli ne fût jamais diffusée sur les ondes. Récemment, sous la pression de Flatterie, l’holovision avait réussi à convaincre Béatriz d’ajouter une heure hebdomadaire à son émission à la gloire du Projet Spationef du Directeur.

Béatriz est aveugle, se disait Ben. Elle est si attirée par son idée d’explorer le vide spatial qu’elle persiste à ignorer le prix que Flatterie nous fait payer pour cela.

La peur qu’inspirait à Flatterie la relation entre Crista et le varech l’avait conduit à la séquestrer « pour assurer sa propre protection, pour mieux l’étudier, pour la sécurité de l’humanité tout entière ». Malgré ses visites hebdomadaires dans la résidence privée de Flatterie, Béatriz n’avait jamais manifesté d’intérêt pour Crista Galli. Elle était intervenue en sa faveur, cependant, quand Ben avait demandé à réaliser ces interviews.

Peut-être qu’elle espérait me voir un peu plus, elle aussi.

Béatriz était mariée à sa carrière, tout comme Ben ; et une carrière, quelque nébuleux que fût le concept, constituait un rival avec qui il était difficile de lutter. Ben n’avait jamais pu comprendre comment Béatriz avait pu laisser ces interviews de Crista Galli lui filer entre les doigts. Mais aujourd’hui, il était heureux que les choses se fussent passées ainsi.

Le Facteur ascension
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